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Ains le sort l’a ravie à nostre vaine attente,
Comme on voit quelquefois au fort de la tourmente
Un tourbillon venteux, la terreur de la mer,
Emporter de la poupe, et dans l’onde abysmer
Le patron d’une nef qui combatant l’orage,
Du corps et de l’esprit luttoit contre la rage
De la vague abayante, à ses coups s’opposoit,
Et par soin et par art sa fureur maistrisoit.
La nef alors sans bride erre apres où l’emporte
L’arrogance et des vents et de l’onde plus forte,
Tant qu’en fin quelque roch caché dessous les eaux
La brise, et par la mer en espand les morceaux,
Effrayant le berger qui de la cyme verte
Des costaux d’alentour voit et plaint ceste perte.
Messager du malheur qui nous fait vivre en pleurs,
Et qui du lis royal en arrouse les fleurs,
Je crierois ces propos d’une voix lamentable,
Aux peuples dont l’Europe est fiere et redoutable :
Et si ces tristes cris parmy l’air espandus
Pouvoient faire payer les regrets qui sont deus
À la mort d’une grande et royale princesse,
Que la majesté mesme éleut pour son hostesse,
Je ferois que la France en pleurs se resolvant
Iroit jusques au ciel ses plaintes élevant,
Et que le juste dueil de toute la province
Conjoindroit ses souspirs aux souspirs de son prince,
Qui portant l’ame atteinte et le cœur traversé
Du regard dont un fils est justement blessé,
Voyant la mort cacher dedans sa nuict profonde
Celle qui luy fit voir la lumiere du monde,
Conjoint à lamenter les jours avec les nuicts,
Et se donne soy-mesme en proye à ses ennuis.
Quelquefois son courage au mal fait resistance :
Mais la douleur rebelle aux loix de sa constance,
Est semblable à ces mers craintes des matelots,
Dont tant plus un destroit reserre les grands flots,