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L’orgueil de leurs grands flots dans le sein escumeux
Où mille se vont perdre et s’abysmer comme eux.
On diroit en oyant leur superbe menace
Fremir contre les bords qui brident leur audace,
Que tant de vistes flots se courans descharger
Vont noyer la mer mesme et le goust en changer :
Cependant, aussi tost que leurs eaux sont coulees
Dedans les vastes champs des grand’s vagues salees,
Les gouffres de Thetis les vont engloutissant
Dans l’abysme infiny de leur sein mugissant,
Sans en rien alterer leur saveur naturelle,
Et sans croistre leurs flots d’une goutte nouvelle.
Daphnis, il faut qu’on voye, il faut qu’on voye ainsi
Ces vagues de douleur, ces ondes de soucy
Qui par le sort cruel dessus toy sont versees
Se perdre dans la mer de tes nobles pensees,
Se perdre en la grandeur qui fait dessous ta loy
Flechir tant de mortels qui n’esperent qu’en toy.
La bonté de ton ame aux saints desirs ouverte
Ne veut pas que tu sois insensible à ta perte :
Non, n’en fais pas du tout mourir le sentiment,
Mais fay qu’elle te gesne avec moins de tourment,
Et respondant d’effect au los qui te renomme
Sens-la comme un amy, porte la comme un homme,
Comme un grand, comme un roy, qui grand en tous ses faits
N’a l’esprit destiné qu’à porter de grands faix.
Quel seroit nostre sort si poursuivant ta plainte
L’excez de cet ennuy rendoit ta vie esteinte ?
Quels astres dans les cieux prompts à nous secourir
Nous pourroient bien alors empescher de perir ?
Ô Daphnis nostre vie en la tienne respire :
Pense à nous, pense à toy, pense à tout cet empire,
Et pour l’amour de ceux dont ton ame a pitié,
Fay quelque violence aux loix de l’amitié.