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Et peut estre ce coup de douleur nompareille
Qui ne m’a point tué me blessant par l’oreille,
M’eust alors fait mourir me blessant par les yeux,
Et nous fussions ensemble envolez dans les cieux.
Mais la cruelle Parque à mes vœux rigoureuse
Voyant qu’un trop grand bien rendroit mon ame heureuse
S’il m’advenoit de vivre et mourir avec toy,
Pour me tuer deux fois t’a fait perir sans moy :
Ou bien, le grand moteur qui de loix eternelles
Regit le cours fatal des affaires mortelles,
Ayant icy fiché la borne de tes ans,
A voulu que les miens leurs fussent survivans,
Afin qu’apres ta mort il restast sur la terre
Qui peust en ta faveur à l’oubly faire guerre :
Qui de dignes regrets peust ta fin déplorer,
Et d’un digne tombeau tes cendres honorer.
Loy que si les destins m’ont ordonné de suivre,
J’en ay moins en horreur l’ennuy de te survivre,
Me plaisant à penser, pour mon seul reconfort,
Que tant plus je vivray tant moins tu seras mort,
Puis qu’apres le moment par qui l’ame est ravie
La memoire des morts leur sert d’une autre vie.
Qu’à jamais soit maudit le jour plein de douleur
Que ton trespas a teint en si noire couleur :
Soleil, pere des ans, grande lampe celeste,
Rens ce jour-là semblable à celuy de Thyeste :
Que jamais ta splendeur ne l’éclaire à son rang :
Qu’il y pleuve tousjours, mais qu’il pleuve du sang,
Comme à la plus sanglante et cruelle journee
Qui par le rond des cieux se soit oncques tournee.
Et toy, qui que tu sois, homme impie et cruel,
Qui pour m’emplir le cœur d’un dueil perpetuel
Avec le coup meurtrier des foudres de Megere
As osé violer une teste si chere :
Sçaches que si le plomb contre elle décoché,
Avec ta cognoissance a commis ce peché,
Nul paisible sommeil n’enchantera mes peines,
Que ton sang malheureux épuisé de tes veines,