Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/213

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ah Lysis ! Quel penser vivoit lors en ton cœur ?
Cruel, desplaisoit-il à ta jeune rigueur
Qu’estant desja de morts la campagne couverte
Ton salut pour le moins consolast nostre perte ?
Haïssois-tu ta vie, ou nous haïssois-tu
Qui de l’erreur d’autruy punissois ta vertu ?
Las ! Ce n’est pas l’advis qu’en moderant la flame
Qui faisoit boüillonner ces desirs en ton ame,
Je versois en ton cœur au partir de ce lieu,
Quand me baisant la main pour le dernier adieu,
Tu me veis deceler en mon pasle visage
La peur dont ce depart me glaçoit le courage.
Mon cher Hephestion, va (te dy-je) et revien :
Romps le chef ennemy, mais conserve le tien :
Fay qu’en cela ta guerre à l’escrime ressemble,
Donnant, s’il t’est possible, et parant tout ensemble,
Et tant que tu pourras joignant d’un bel accord
Le soucy de la vie au mespris de la mort.
Tu t’en vas où la gloire au peril se marie :
Où plus qu’en aucun lieu la fortune varie :
Où souvent à grands pas la victoire suivant,
On rencontre la mort qui se met au devant.
Ne croy point trop l’ardeur dont se sent allumee
Une ame genereuse à vaincre accoustumee,
Quand au fort du combat erre devant ses yeux
L’image d’un renom qui doit voller aux cieux :
Je sçay de quel pouvoir les cœurs elle domine,
Et comme elle éguillonne une jeune poitrine :
Je n’avoy pas vingt ans alors qu’à Moncontour
Elle pensa mener ma vie au dernier jour.
Et partant, toy qui sçais que d’une mesme trame
Le destin a tissu ton ame avec mon ame,