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Et par un certain gage au monde témoigner
Que rien ne la pourroit de ton ame éloigner.
Hé dieux estoit-ce là ceste preuve et ce gage
Qui m’en devoit donner un si seur témoignage ?
Ô Lysis falloit-il t’élancer au trespas
Pour m’asseurer d’un heur dont je ne doutois pas ?
Ta preuve (entier amy) ta preuve est trop cruelle :
Il me couste trop cher de te voir si fidelle :
Par ce gage de foy tu cesses d’estre mien,
Et me rends par mon mal asseuré de mon bien.
Car ce m’est bien de voir qu’une amitié non feinte
Me payoit de la mienne et si vraye et si sainte :
Mais le gage inhumain non demandé ny deu
Qui me le prouve ainsi par ton sang épandu,
Dessous trop de douleurs rend mon ame abattuë :
L’asseurance m’en plaist, mais la preuve m’en tuë :
Et fait que malheureux je me vois tourmentant
De me voir tant aimé de ce que j’aimoy tant.
Bien sçay-je que la fin que tu t’es procuree
Rend ta mort glorieuse et ta vie honoree,
Mais les loix d’amitié t’avoient-elles permis
De chercher de la gloire au dueil de tes amis,
T’efforçant d’acquerir par la rage des armes,
Un laurier de vertu dégoutant de nos larmes ?
Las ! Tu n’ignorois point quand ta jeune valeur
Te fist donner en proye au publique malheur,
Que ma vie en la tienne alloit courre fortune
Puis que de nos destins la trame estoit commune :
Et cependant on dit qu’aussi tost que tu vis
Les lauriers esperez t’avoir esté ravis,
Tu demandas la mort d’une plus chaude envie
Que les moins courageux ne demandent la vie :
Et qu’au lieu de daigner ton salut requerir,
Changeant l’amour de vaincre en celuy de mourir,
Tu t’exposas toy-mesme à la fiere tempeste
Du coup qui sans pitié t’a foudroyé la teste.