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Les fantosmes d’un songe estoient les messagers,
Qui sont le plus souvent trompeurs et mensongers.
Mais si ne peut son cœur plein d’un funebre augure,
Tellement de ceste ombre abolir la figure,
Qu’aussi tost que Phoebus éclaira les mortels,
Il n’allast de ses vœux recharger les autels :
Et ne dist maintesfois, humectant ses prunelles,
Ô Lysis, que j’attens de dolentes nouvelles
De ton jeune courage, et combien les hazars
Environnans la gloire et les palmes de Mars,
Me font craindre qu’en fin quelque amere victoire
Ne me rende ce songe une piteuse histoire !
Avec ces tristes mots prononcez en plorant,
Il s’alloit à son dueil luy-mesme preparant,
Encor que quelque espoir vivant en sa pensee,
Charmast un peu le mal dont elle estoit blessee :
Mais pouvant plus sur luy la crainte du malheur,
Que l’attente du bien qui flatoit sa douleur,
Et se trouvant moins ferme à porter ce naufrage,
Qu’à le prevoir de loin il n’avoit esté sage,
Tantost vaincu de dueil il souffroit que l’ennuy
Jettast son cœur par terre et marchast dessus luy :
Tantost renouvellant ses vœux et ses prieres,
Dolent il regardoit les celestes lumieres :
Tantost il r’appelloit le serain de ses yeux :
Tantost avecques pleurs il accusoit les cieux :
Et fut ainsi deux jours, meslant les vœux aux plaintes,
Et pour un peu d’espoir ressentant mille craintes :
Jusqu’à tant qu’un courrier du combat eschapé,
De sang, et de sueur, et de larmes trampé,
Triste, la couleur pasle, et la veuë égaree,
Luy vint rendre sa crainte une perte asseuree :
Et par un brief discours, mais lamentable, et tel
Que chacun de ses mots estoit un coup mortel,
Soubmist presque à ses yeux le tragique spectacle
Du malheur dont le songe avoit esté l’oracle.
Qui pourroit exprimer d’assez vives couleurs
Les violents effets des extrémes douleurs