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Qu’au jour où ton trespas frauda nostre esperance,
À ce jour-là mourut la mort de l’ignorance :
Lumiere de cet âge eclipsee à nos yeux,
Mais luisante à nos cœurs d’un lustre pris des dieux :
Si quelque sentiment reste encor à ta cendre,
Tant qu’à travers le marbre elle nous puisse entendre,
Entends, grand Apollon du parnasse françois,
Ces vers qu’en ton honneur je chante à haute voix :
Et ne t’offense point si je romps d’avanture
Le repos que tu prens dessous la sepulture,
Venant dire à tes os inhumez en ce lieu,
Et le dernier bon-jour, et le dernier adieu :
Mais prens en gré mon zele, et reçoy favorable
De ces tristes presents l’offerte pitoyable,
De ces tristes presents qui sont comme les fruits
Que ta vive semence en mon ame a produits.
Car jour et nuict te lire enchanté de ta grace,
Non esteindre ma soif és ruisseaux de Parnasse,
M’a faict estre poëte, au moins si m’imposer
Un nom si glorieux ce n’est point trop oser.
Je n’avois pas seize ans quand la premiere flame
Dont ta muse m’éprit, s’alluma dans mon ame :
Car deslors un desir d’éviter le trespas
M’excita de te suivre et marcher en tes pas :
Me rendit d’une humeur pensive et solitaire,
Et fist qu’en dédaignant les soucis du vulgaire,
Mon âge qui fleury ne faisoit qu’arriver
Aux mois de son printemps, desja tint de l’hyver.
Depuis venant à voir les beaux vers de Desportes
Que l’amour et la muse ornent en tant de sortes,
Ce desir s’augmenta, mon ame presumant
D’aller facilement sa douceur exprimant :
Fol qui n’advisay pas que sa divine grace
Qui va cachant son art d’un art qui tout surpasse,
N’a rien si difficile à se voir exprimer,
Que la facilité qui le fait estimer.