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 qui maintenant m’est en peine tournee,
Puis que de tant d’ennuis à toute heure gesnee,
Mon immortalité ne me sert seulement
Que d’immortaliser ma peine et mon tourment.
Ainsi se complaignoit ceste royne dolente,
Aux pieds de Jupiter toute en pleurs distilante :
Quand luy qui patient ses plaintes entendit,
Reprenant la parole ainsi luy respondit.
Les propos qu’autrefois consolant ta tristesse,
Je te teins de Ronsard, magnanime princesse,
Ont trompé ton espoir, faute (à ce que je voy)
En toy d’intelligence, et non en eux de foy :
Ma parole en erreur t’ayant precipitee
Pour estre, non mal dite, ains mal interpretee.
Bien te promis-je alors qu’il vivroit icy bas
Une immortelle vie et franche du trespas :
Mais ceste vie, ô nymphe, il la falloit entendre
De celle-là qui fait qu’on survit à sa cendre,
De celle-là qui rend un renom ennobly,
Et dont la seule mort c’est l’eternel oubly,
Car quand à l’autre vie à la Parque sujette,
Le soleil voit-il bien quelqu’un qui se promette
De ne la finir point, puis que c’est seulement
Pour prendre quelque fin qu’on prend commencement ?
Jette l’oeil du penser dessus tout ce qu’enserre
Entre ses larges bras le grand corps de la terre :
Tu verras que la faux de la Parque et du temps
Y va tout moissonnant comme herbe du printemps :
Tu verras trebûcher les temples magnifiques,
Les grands palais des rois, les grandes republiques :
Et souvent ne rester d’une auguste cité
Sinon un petit bruit d’avoir jadis esté.
Et si non seulement le temps fera resoudre
Les temples, les chasteaux et les villes en pouldre :
Mais encor ce grand tout, ce grand tout que tu vois
Qui ne sçait ou tomber, tombera quelquefois.