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Dessus vostre vertu : c’est assez maintenant
Si par art et conseil vos troupes ordonnant
Vous rendez au peril leur vaillance allumee,
Et servez comme d’ame au corps de vostre armee :
De la mesme façon qu’Archimede animoit
Ses machines de guerre, au temps qu’il en armoit
Contre le camp romain les murs de Syracuse,
Luy seul estant la vie en leurs membres infuse,
Et lançant par leurs bras contre les assaillans
Tant de traits et de dards le peuple esmerveillans,
Qu’il sembloit d’une force et vertu plus qu’humaine
Combattre luy tout seul la puissance romaine.
Ainsi sans plus courir où l’audace du fer
Pourroit de vostre vie à son gré triompher,
Devez-vous desormais par la seule prudence
Faire à vos ennemis sentir vostre presence :
Vous contentant de voir l’esprit de vos desseins
En mille lieux divers mouvoir cent mille mains,
Faire dessous vos loix trencher cent mille espees,
Rendre des ennemis les forces dissipees :
Et bref, de tant d’effets la cause estant en luy,
Vaincre par sa conduite, et par les mains d’autruy.
Sire, combatre ainsi, c’est combatre en monarque,
Pour laisser de ses faits une eternelle marque :
Non aller à clos yeux dans le sang se plonger
Où regne peu de gloire, et beaucoup de danger.
Il n’advient pas tousjours que l’ame avantureuse
Couronne ses desseins d’une fin bien-heureuse :
Et quand il adviendroit, peu durable est l’honneur
Qui doit toute sa gloire aux effets du bon-heur.
Donc par ceste vaillance aux travaux endurcie
Qui vous fait desirer d’estre nostre decie,
Vous jettant aux perils pour nous en preserver,
Et taschant de vous perdre afin de nous sauver :
Par l’ennuy dont nos maux rendent vostre ame attainte,
Par le triste sujet de nostre sage crainte,
Conservez vostre vie en qui seule est compris
Tout ce qu’on voit d’espoir consoler nos esprits.