Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/178

Cette page n’a pas encore été corrigée

Aux plus mortels perils s’expose incessamment,
Ce soit ingratitude, ou peu de sentiment :
Si semble-il que l’horreur des maux inévitables
Qui rendroient par sa mort nos siecles lamentables,
Excuse nostre plainte, et luy fait pardonner
Ce que la raison mesme y pourroit condamner.
Hé, qui n’eust excusé les habitans de Troye,
Si voyans leur Minerve abandonner en proye
À l’audace des grecs son portrait bien-aimé,
Contre sa mal-vueillance ils eussent blasphemé,
Sçachans bien que perdant ceste fatale image,
La gloire d’Ilion alloit faire naufrage :
Et la femme gregeoise ondoyant jusqu’aux cieux,
Devorer leurs maisons et les temples des dieux ?
Certes nous ne pouvons, en si tristes allarmes,
Nous imposer silence et contraindre nos larmes.
Nous meritons pardon blasphemant contre vous,
De vous abandonner si librement aux coups,
Pource que vostre vie en ces flots agitee
Nous est ce qu’un tison estoit au fils d’Althaee :
Nous meritons pardon implorant tous les jours
Au milieu des perils l’heur de vostre secours,
Pource qu’en combattant ce monstre parricide,
Vostre seule vaillance en doit estre l’Alcide :
Et merite pardon la publique douleur
Qui d’une main tremblante armant vostre valeur,
À deux contraires vœux peut nostre ame contraindre,
Nous faisant desirer ce qu’elle nous fait craindre.
Car qui vaincroit pour nous ne vous point hazardant ?
Et qui nous sauveroit, vous aussi vous perdant,
Puis qu’en vostre vertu consiste, outre la gloire,
Et le mal de la perte, et l’heur de la victoire ?
Entre ces vieux romains qui veirent la rondeur
De l’univers entier adorer leur grandeur,