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 crain que m’en taisant,
Pour me voir sans espoir d’orner en bien-disant
Ceste extreme bonté d’une loüange égale,
Tant elle part d’une ame et grande et liberale :
Si tost qu’il paroistra combien je suis chargé
Des nœuds où tes bien-faits me tiennent engagé,
La marque d’un ingrat sur mon front ne s’imprime,
Et qu’en fin mon malheur ne me soit pour un crime.
Car ce qu’en treize estez des meilleurs de mes ans,
Trompé du vain espoir qui paist les courtisans,
J’avoy peu meriter par ma perseverance
Au service des rois et des grands de la France
Qui m’ont laissé sans fruit à leur suitte envieillir,
Ta grace, en un seul jour, me l’a fait recueillir
De ceste heureuse main qui n’est accoustumee
Qu’aux belles actions armee et desarmee,
Et qui se plaist autant à semer des bien-faicts,
Que d’autres à se voir recueillir leurs effects.
C’est pourquoy ne pouvant par nulle humaine offrande,
M’acquitter d’une debte et si juste et si grande,
Pour le moins ce que peut un cœur recognoissant
Je le paye à ton nom, ressentant, confessant,
Publiant tes bien-faits, et jusqu’au bord de Gange
Essayant de pousser le bruit de ta loüange,
Encor que ton genie, au bien du tout voüé,
Cherche d’estre loüable, et non d’estre loüé.
Aussi me monstreroy-je avoir une ame impie,
Ou d’un somme d’oubly laschement assoupie,
Si sentant mon esprit devoir à ta grandeur
Plus qu’à nul que le monde enferme en sa rondeur,
Je ne faisois point voir, pour le moins de parolle,
Que rien à mon penser la memoire n’en volle :
Et n’eternisois point, autant qu’il est en moy,
Les royales vertus qui florissent en toy :