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L’IMPOSTURE

seigneur ! Monseigneur ! reprit-il en tournant d’une pièce tout son corps vers l’évêque de Paumiers dans un mouvement pathétique, je vous jure ! Je vous jure ! Depuis un an, je n’ai pas fait un pas, je n’ai pas écrit une ligne sans sa permission… Avant-hier encore… Oh ! j’ai commis des imprudences, je le sais ! J’ai mécontenté des gens puissants ! À qui la faute ? Il était, il était derrière moi. Je le jure ! « Je vous veux conduire les yeux fermés », voilà ce qu’il m’a dit. L’avez-vous dit ? hurla le malheureux.

— Incroyable ! Incroyable ! répétait le vicomte Lavoine. Intolérable !

— Une honte, une pure honte ! ajouta Mme Jérôme.

— Calmez-vous, je vous en conjure ! dit Mgr Espelette, plus suppliant que jamais. J’avoue que ce malentendu…

Et M. Guérou lui-même fit le geste d’un spectateur rebuté par un toréador maladroit.

À peine si Pernichon entendit ce murmure de dégoût, mais à travers ses larmes de colère impuissante, il vit son adversaire et comprit.

Il comprit qu’il arrivait trop tard, que l’homme qui était devant lui n’était plus une proie pour personne, et qu’à s’acharner encore, il se perdrait sans le perdre. En une seconde, et comme entre deux éclairs, il sentit l’indifférence profonde, insurmontable, l’énorme indifférence de ces gens rassemblés, polis par la sottise, l’illusion ou le mensonge, polis par la vie, comme des galets par le flot. La révélation d’aucune lâcheté, d’aucune trahison, n’était capable de ranimer en eux, même pour un instant, ce qu’ils s’étaient donné tant de peine à détruire, cette espèce de fierté humaine