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L’IMPOSTURE

pour étouffer un hoquet sinistre. La peur donnait à son visage une expression intolérable.

— Messieurs ! je ne comprends vraiment plus… De grâce, messieurs ! suppliait Mgr Espelette au désespoir.

— Pourquoi veut-on me perdre ! poursuivait Pernichon d’une voix déchirante. J’ai eu quelques succès, je les devais à mon travail, à la chance — que sais-je ? Ils n’ont fait de tort à personne. Mais depuis que M. Cénabre m’a congédié — car il m’a congédié — je sens qu’on a décidé ma ruine…

— C’est de la folie ! jeta M. Jérôme si froidement que le calme se fit tout à coup. Alors seulement on entendit la voix de M. Catani.

— Je vous pardonne une telle agression… si inattendue… si injuste… (il parlait dans un souffle). J’ai toujours aimé la jeunesse. Mais convenez-en vous-même : personne ici ne peut plus douter à présent que j’ai vu juste : vous ne vous possédez pas assez. Il faut se posséder… Qui ne sait se posséder n’apprendra jamais rien de ce que le dernier d’entre nous devrait savoir… Qui ne sait se posséder…

— Parlons-en ! s’écria Pernichon d’une voix si stridente que Mme Jérôme se boucha une oreille du bout de son doigt ganté.

— Pardonnez-moi… Je vous prie de m’excuser… Toutes mes excuses ! dit le comte Lavoine de Duras en agitant vers son hôte une main qui tremblait de lassitude et d’écœurement. Je crains… Je crains qu’il me soit impossible d’approuver le ton que va prendre… une discussion… D’ailleurs, ce tour provocateur, personnel…