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JOURNAL

la mine prospère d’un conférencier pour messes basses… Vois-tu, a-t-il repris, n’importe quel imbécile, le premier venu, quoi, ne saurait être insensible à la douceur, à la tendresse de la parole, telle que les Saints Évangiles nous la rapportent. Notre-Seigneur l’a voulu ainsi. D’abord, c’est dans l’ordre. Il n’y a que les faibles ou les penseurs qui se croient obligés de rouler des prunelles et montrer le blanc de l’œil avant d’avoir seulement ouvert la bouche. Et puis la nature agit de même ; est-ce que pour le petit enfant qui repose dans son berceau et qui prend possession du monde avec son regard éclos de l’avant-veille, la vie n’est pas toute suavité, toute caresse ? Elle est pourtant dure, la vie ! Remarque d’ailleurs qu’à prendre les choses par le bon bout, son accueil n’est pas si trompeur qu’il en a l’air parce que la mort ne demande qu’à tenir la promesse faite au matin des jours, le sourire de la mort, pour être plus grave, n’est pas moins doux et suave que l’autre. Bref, la parole se fait petite avec les petits. Mais lorsque les Grands, — les Superbes — croient malin de se le répéter comme un simple conte de Ma Mère l’Oie, en ne retenant que les détails attendrissants, poétiques, ça me fait peur — peur pour eux naturellement. Tu entends l’hypocrite, le luxurieux, l’avare, le mauvais riche — avec leurs grosses lippes et leurs yeux luisants — roucouler le Sinite parvulos sans avoir l’air de prendre garde à la parole qui suit — une des plus terribles