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JOURNAL

fortable, la plus belle maison du pays, après le château, et je laverais moi-même mon linge ! j’aurais l’air de le faire exprès.

Peut-être aussi n’ai-je pas le droit de me distinguer des confrères pas plus fortunés que moi, mais qui tirent un meilleur parti de leurs modestes ressources. Je crois sincèrement qu’il m’importe peu d’être riche ou pauvre, je voudrais seulement que nos supérieurs en décidassent une fois pour toutes. Ce cadre de félicité bourgeoise où l’on nous impose de vivre convient si peu à notre misère… L’extrême pauvreté n’a pas de peine à rester digne. Pourquoi maintenir ces apparences ? Pourquoi faire de nous des besogneux ?

Je me promettais quelques consolations de l’enseignement du catéchisme élémentaire, de la préparation à la sainte communion privée selon le vœu du saint pape Pie X. Encore aujourd’hui, lorsque j’entends le bourdonnement de leurs voix dans le cimetière, et sur le seuil le claquement de tous ces petits sabots ferrés, il me semble que mon cœur se déchire de tendresse. Sinite parvulos… Je rêvais de leur dire, dans ce langage enfantin que je retrouve si vite, tout ce que je dois garder pour moi, tout ce qu’il ne m’est pas possible d’exprimer en chaire où l’on m’a tant recommandé d’être prudent. Oh ! je n’aurais pas exagéré, bien entendu ! Mais enfin j’étais très fier d’avoir à leur parler d’autre chose que des problèmes de fractions, du droit civique, ou encore de ces abo-