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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

huissier ou d’un notaire. Les femmes de notre famille sont très positives, vous savez ? » Elle s’est approchée de moi tandis que j’étalais soigneusement le cirage sur mes souliers. J’y mettais même un peu de lenteur, et il ne m’aurait certainement pas déplu que notre conversation s’achevât sur un éclat de rire. Peut-être a-t-elle deviné ma pensée. Elle m’a dit tout à coup, d’une voix sifflante : — « Mon cousin vous a parlé de moi ? » — « Oui, ai-je répondu. Mais je ne pourrais rien vous rapporter de ses propos. Je ne m’en souviens plus. » — « Que m’importe ! Je me moque de son opinion et de la vôtre. » — « Écoutez, lui dis-je, vous ne tenez que trop à connaître la mienne. » Elle a hésité un moment, et elle a répondu simplement oui, car elle n’aime pas mentir. — « Un prêtre n’a pas d’opinion, je voudrais que vous compreniez cela. Les gens du monde jugent par rapport au mal ou au bien qu’ils sont capables de se faire entre eux, et vous ne pouvez me faire ni bien ni mal. » — « Du moins devriez-vous me juger selon… que sais-je… enfin le précepte, la morale ? » — « Je ne pourrais vous juger que selon la grâce, et j’ignore celles qui vous sont données, je l’ignorerai toujours. » — « Allons donc ! vous avez des yeux et des oreilles, vous vous en servez comme tout le monde, je suppose ? » — « Oh ! ils ne me renseigneraient guère sur vous ! » Je crois que j’ai souri. — « Achevez ! Achevez ! que voulez-vous dire ? » — « Je crains de vous offenser. Je me souviens