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JOURNAL

J’ai même cherché mon chapelet dans les ronces. Ma pauvre tête n’en pouvait plus. L’image de la Vierge-Enfant, telle que me l’avait suggérée M. le curé, s’y présentait sans cesse et, quelque effort que je fisse pour reprendre pleinement conscience, la prière commencée s’achevait en rêveries dont je discernais par instants l’absurdité. Combien de temps ai-je ainsi marché, je ne saurais le dire. Agréables ou non, les fantômes n’apaisaient pas la douleur intolérable qui me ployait en deux. Je crois qu’elle seule m’empêchait de sombrer dans la folie, elle était comme un point fixe dans le vain déroulement de mes songes. Ils me poursuivent encore au moment où j’écris, et grâce au ciel, ne me laissent aucun remords, car ma volonté ne les acceptait point, elle en réprouvait la témérité. Qu’elle est puissante, la parole d’un homme de Dieu ! Certes, je l’affirme ici solennellement, je n’ai jamais cru à une vision, au sens que l’on donne à ce mot, car le souvenir de mon indignité, de mon malheur, ne m’a, pour ainsi dire, pas quitté. Il n’en est pas moins vrai que l’image qui se formait en moi n’était pas de celles que l’esprit accueille ou repousse à son gré. Oserais-je en faire l’aveu ?…

(Ici dix lignes raturées.)

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…La créature sublime dont les petites mains ont détendu la foudre, ses mains pleines de grâces… Je regardais ses mains. Tantôt je les voyais, tantôt je ne les voyais plus, et comme ma douleur devenait excessive, que je