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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

— « C’est que… je ne… Je ne peux pas ! » m’écriai-je. Et j’ai tout de suite regretté l’aveu, car son regard est devenu dur. — « Si tu ne peux pas prier, rabâche ! Écoute, j’ai eu mes traverses, moi aussi ! Le diable m’inspirait une telle horreur de la prière que je suais à grosses gouttes pour dire mon chapelet, hein ? tâche de comprendre ! » — « Oh ! je comprends ! » répondis-je, et avec un tel élan qu’il m’a examiné longuement, des pieds à la tête, mais sans malveillance, au contraire… — « Écoute, dit-il, je ne crois pas m’être trompé sur ton compte. Tâche de répondre à la question que je vais te poser. Oh ! je te donne ma petite épreuve pour ce qu’elle vaut, ce n’est qu’une idée à moi, un moyen de m’y reconnaître, et il m’a mis dedans plus d’un coup, naturellement. Bref, j’ai beaucoup réfléchi à la vocation. Nous sommes tous appelés, soit, seulement pas de la même manière. Et pour simplifier les choses, je commence par essayer de replacer chacun de nous à sa vraie place, dans l’Évangile. Oh ! bien sûr, ça nous rajeunit de deux mille ans, et après ! Le temps n’est rien pour le bon Dieu, son regard passe au travers. Je me dis que bien avant notre naissance — pour parler le langage humain — Notre-Seigneur nous a rencontrés quelque part, à Bethléem, à Nazareth, sur les routes de Galilée, que sais-je ? Un jour entre les jours ses yeux se sont fixés sur nous, et selon le lieu, l’heure, la conjoncture, notre vocation a pris son caractère particulier. Oh ! je ne te donne pas ça pour de