Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/249

Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

monter jusqu’à la chambre. Il me semble que nous ne devons approcher des morts qu’avec une grande sérénité. Je me sentais trop bouleversé par les paroles que je venais d’entendre et auxquelles je ne pouvais trouver aucun sens. Mon caractère, soit. Mais les habitudes ? Quelles habitudes ?

Je suis rentré au presbytère par le chemin qu’on appelle, j’ignore pourquoi, chemin de Paradis — un sentier boueux, entre deux haies. Il m’a fallu presque aussitôt courir jusqu’à l’église où le sacristain m’attendait depuis longtemps. Mon matériel est dans un état déplorable, et je dois reconnaître qu’un sérieux inventaire, fait à temps, m’eût épargné bien des soucis.

Le sacristain est un vieil homme assez grognon et qui sous des façons revêches et même grossières cache une sensibilité capricieuse, fantasque. On rencontre beaucoup plus souvent qu’on ne croit, chez des paysans, cette sorte d’humeur presque féminine qui semble le privilège des riches oisifs. Dieu sait même combien peuvent être fragiles, à leur insu, des êtres murés depuis des générations, parfois depuis des siècles, dans un silence dont ils ne sauraient mesurer la profondeur, car ils ne disposent d’aucun moyen pour le rompre, et d’ailleurs n’y songent pas, associant naïvement au monotone labeur quotidien, le lent déroulement de leurs rêves… jusqu’au jour où parfois… Ô solitude des pauvres !

Après avoir battu les tentures, nous nous