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JOURNAL

a vécu, la pauvre femme a pu éviter les heurts et maintenant… »

Il m’a précédé dans la salle à manger, mais sans m’offrir un siège. — « Monsieur le curé, a-t-il repris, autant vous parler franc. Je respecte le clergé, les miens ont toujours entretenu d’excellents rapports avec vos prédécesseurs, mais c’étaient des rapports de déférence, d’estime, ou plus exceptionnellement d’amitié. Je ne veux pas qu’un prêtre se mêle de mes affaires de famille. » — « Il nous arrive d’y être mêlés malgré nous, » lui dis-je. — « Vous êtes la cause involontaire… du moins inconsciente… de… d’un grand malheur. J’entends que la conversation que vous venez d’avoir avec ma fille soit la dernière. Tout le monde, et vos supérieurs eux-mêmes, conviendraient qu’un prêtre aussi jeune que vous ne saurait prétendre diriger la conscience d’une jeune fille de cet âge. Chantal n’est déjà que trop impressionnable. La religion a du bon, certes, et du meilleur. Mais la principale mission de l’Église est de protéger la famille, la société, elle réprouve tous les excès, elle est une puissance d’ordre, de mesure. » — « Comment, lui dis-je, ai-je été la cause d’un malheur ? » — « Mon oncle La Motte-Beuvron vous éclairera là-dessus. Qu’il vous suffise de savoir que je n’approuve pas vos imprudences, et que votre caractère, — il attendit un moment, — votre caractère autant que vos habitudes me paraissent un danger pour la paroisse. Je vous présente mes respects. »

Il m’a tourné le dos. Je n’ai pas osé