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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

je vous parlerai debout. » Elle a rougi, sa bouche tremblait de colère. — « Pourquoi ? » — « Parce que ma place n’est pas ici, ni la vôtre. » Elle a eu une parole horrible, tellement au-dessus de son âge que je ne puis croire qu’elle ne lui ait pas été soufflée par un démon. Elle m’a dit : « Je ne crains pas les morts. » Je lui ai tourné le dos. Elle s’est jetée entre moi et la porte, elle me barrait le seuil de ses deux bras étendus. — « Ferais-je mieux de jouer la comédie ? Si je pouvais prier, je prierais. J’ai même essayé. On ne prie pas avec cela ici… » Elle montrait sa poitrine. « Quoi ? » — « Appelez ça comme vous voudrez, je crois que c’est de la joie. Je devine ce que vous pensez, que je suis un monstre ? » — « Il n’y a pas de monstre. » — « Si l’autre monde ressemble à ce qu’on raconte, ma mère doit comprendre. Elle ne m’a jamais aimée. Depuis la mort de mon frère, elle me détestait. N’ai-je pas raison de vous parler franchement ? » — « Mon opinion ne vous importe guère… » — « Vous savez que si, mais vous ne daignez pas l’avouer. Au fond, votre orgueil vaut le mien. » — « Vous parlez comme un enfant, lui dis-je. Vous blasphémez aussi comme un enfant. » Et je m’avançais d’un pas vers la porte, mais elle tenait la poignée entre ses mains. — « L’institutrice fait ses malles. Elle part jeudi. Vous voyez que ce que je veux, je l’obtiens. » — « Qu’importe, lui dis-je, cela ne vous avancera guère. Si vous restez telle que vous êtes, vous trouverez toujours à haïr. Et si vous étiez capable de m’entendre, j’ajouterais même… »