Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

jourd’hui sont des bourgeois honteux. »

Je l’ai accompagné jusqu’à la porte, et même j’ai fait quelques pas avec lui sur la route. J’imagine qu’il attendait de moi un mouvement de franchise, de confiance, mais j’ai préféré me taire. Je me sentais trop incapable de surmonter à ce moment une impression pénible, que je n’aurais d’ailleurs su déguiser à son regard étrange, qui se posait sur moi par instants, avec une curiosité tranquille. Comment lui dire que je ne me faisais pas la moindre idée des griefs de M. le comte, et que nous venions de jouer, sans qu’il s’en doutât, aux propos interrompus ?

Il est si tard que je juge inutile d’aller jusqu’à l’église, le sacristain a dû faire le nécessaire.

La visite de M. le comte ne m’a rien appris. J’avais débarrassé la table, remis tout en ordre, mais laissé — naturellement — la porte du placard ouverte. Comme celui du chanoine, son regard est tombé du premier coup sur la bouteille de vin. C’est une espèce de gageure. Quand je pense à mon menu de chaque jour, dont bien des pauvres ne se contenteraient pas, je trouve un peu irritante cette surprise de chacun à constater que je ne bois pas que de l’eau. Je me suis levé sans hâte, et j’ai été fermer la porte.

♦♦♦ M. le comte s’est montré très froid, mais poli. Je crois qu’il ignorait la démarche de son oncle, et il m’a fallu régler de nouveau la question des obsèques. Il connaît les tarifs