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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

pour la bénir, mon bras était de plomb.

Par un hasard étrange, deux sœurs quêteuses étaient venues la veille, au château, et M. le comte avait proposé, leur tournée faite, de les reconduire aujourd’hui en voiture, à la gare. Elles avaient donc couché ici. Je les ai trouvées là, toutes menues dans leurs robes trop larges, avec leurs gros petits souliers crottés. Je crains que mon attitude ne les ait surprises. Elles m’observaient tour à tour à la dérobée, je ne pouvais me recueillir. Je me sentais de glace, sauf ce creux dans ma poitrine, tout brûlant. J’ai cru tomber.

Enfin, Dieu aidant, il m’a été possible de prier. J’ai beau m’interroger maintenant, je ne regrette rien. Que regretterais-je ? Si, pourtant ! Je pense que j’aurais pu veiller cette nuit, garder intact quelques heures de plus le souvenir de cet entretien qui devait être le dernier. Le premier aussi, d’ailleurs. Le premier et le dernier. Suis-je heureux ou non, écrivais-je… Sot que j’étais ! Je sais à présent que je n’avais jamais connu, que je ne retrouverai plus jamais des heures aussi pleines, si douces, toutes remplies d’une présence, d’un regard, d’une vie humaine ; tandis qu’hier soir, accoudé à ma table, je tenais serré entre mes paumes le vieux livre auquel j’avais confié ma lettre, ainsi qu’à un ami sûr et discret. Et ce que j’allais perdre si vite, je l’ai volontairement enseveli dans le sommeil, un sommeil noir, sans rêves…

C’est fini maintenant. Déjà le souvenir de