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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

je ne l’attends plus de seconde en seconde, comme jadis…

Je sais aussi qu’on rapporte beaucoup de choses, vraies ou fausses, sur les peines intérieures des Saints. La ressemblance n’est qu’apparente, hélas ! Les Saints ne devaient pas se faire à leur malheur, et je sens déjà que je me fais au mien. Si je cédais à la tentation de me plaindre à qui que ce fût, le dernier lien entre Dieu et moi serait brisé, il me semble que j’entrerais dans le silence éternel.

Et pourtant j’ai fait un long chemin, hier, sur la route de Torcy. Ma solitude est maintenant si profonde, si véritablement inhumaine que l’idée m’était venue, tout à coup, d’aller prier sur la tombe du vieux docteur Delbende. Puis j’ai pensé à son protégé, à ce Rebattut que je ne connais pas. Au dernier moment la force m’a manqué.

♦♦♦ Visite de Mlle Chantal. Je ne me crois pas capable de rapporter ce soir quoi que ce soit d’un pareil entretien, si bouleversant… Malheureux que je suis ! Je ne sais rien des êtres. Je n’en saurai jamais rien. Les fautes que je commets ne me servent pas : elles me troublent trop. J’appartiens certainement à cette espèce de faibles, de misérables, dont les intentions restent bonnes, mais qui oscillent toute leur vie entre l’ignorance et le désespoir.

J’ai couru ce matin jusqu’à Torcy, après la Messe. M. le curé de Torcy est tombé malade chez une de ses nièces, à Lille. Et il ne