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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

de ce journal… Tendresse que je n’approuve guère, car elle ne va sans doute, à travers ces pages, qu’à moi-même. Je suis devenu auteur ou, comme dit M. le doyen de Blangermont poâte… Et cependant…

Je veux donc écrire ici, en toute franchise, que je ne me relâche pas de mes devoirs, au contraire. L’amélioration, presque incroyable, de ma santé favorise beaucoup mon travail. Aussi n’est-il pas absolument juste de dire que je ne prie pas pour le docteur Delbende. Je m’acquitte de cette obligation comme des autres. Je me suis même privé de vin ces derniers jours, ce qui m’a dangereusement affaibli.

Court entretien avec M. le curé de Torcy. La maîtrise que ce prêtre admirable exerce sur lui-même est évidente. Elle éclate aux yeux, et pourtant on en chercherait vainement le signe matériel, elle ne se traduit par aucun geste, aucune parole précise, rien qui sente la volonté, l’effort. Son visage laisse voir sa souffrance, l’exprime avec une franchise, une simplicité vraiment souveraines. En de telles conjonctures, il arrive de surprendre chez les meilleurs un regard équivoque, de ces regards qui disent plus ou moins clairement : « Vous voyez, je tiens bon, ne me louez pas, cela m’est naturel, merci… » Le sien cherche naïvement votre compassion, votre sympathie, mais avec une noblesse ! Ainsi pourrait mendier un roi. Il a passé deux nuits près du cadavre, et sa soutane, toujours si propre, si correcte, était