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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

prendre congé brusquement, j’ai descendu le perron comme un somnambule. La châtelaine m’a gentiment accompagné jusqu’à la dernière marche, et je n’ai même pas pu la remercier, je tenais mon mouchoir sur ma bouche. Elle m’a regardé avec une expression très curieuse, indéfinissable, d’amitié, de surprise, de pitié, d’un peu de dégoût aussi, je le crois. Un homme qui a mal au cœur est toujours si ridicule ! Enfin elle a pris la main que je lui tendais en disant comme pour elle-même, car j’ai deviné la phrase au mouvement de ses lèvres : « Le pauvre enfant ! » ou peut-être : « Mon pauvre enfant ! »

J’étais si surpris, si ému, que j’ai traversé la pelouse pour gagner l’avenue — ce joli gazon anglais auquel M. le comte tient tant, et qui doit garder maintenant la trace de mes gros souliers.

Oui, je me reproche de prier peu, et mal. Presque tous les jours, après la Messe, je dois interrompre mon action de grâces pour recevoir tel ou tel, des malades, généralement. Mon ancien camarade du petit séminaire, Fabregargues, établi pharmacien aux environs de Montreuil, m’envoie des boîtes-échantillons publicitaires. Il paraît que l’instituteur n’est pas satisfait de cette concurrence, car il était seul jadis à rendre ces menus services.

Comme il est difficile de ne mécontenter personne ! Et quoi qu’on fasse, les gens paraissent mieux disposés à utiliser les bonnes volontés