Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
JOURNAL

croyais encore au seuil de ce petit monde, j’étais déjà entré bien avant, seul — et le chemin du retour fermé derrière moi, nulle retraite. Je ne connaissais pas ma paroisse, et elle feignait de m’ignorer. Mais l’image qu’elle se faisait de moi était déjà trop nette, trop précise. Je n’y saurais rien changer désormais qu’au prix d’immenses efforts.

M. le curé de Torcy a lu l’épouvante sur mon ridicule visage, et il a compris sûrement que toute tentative pour me rassurer eût été vaine à ce moment. Il s’est tu. Je me suis forcé à sourire. Je crois même que j’ai souri. C’était dur.

♦♦♦ Mauvaise nuit. À trois heures du matin, j’ai pris ma lanterne et je suis allé jusqu’à l’église. Impossible de trouver la clef de la petite porte, et il m’a fallu ouvrir le grand portail. Le grincement de la serrure a fait, sous les voûtes, un bruit immense.

Je me suis endormi à mon banc, la tête entre mes mains et si profondément qu’à l’aube la pluie m’a réveillé. Elle passait à travers le vitrail brisé. En sortant du cimetière j’ai rencontré Arsène Miron, que je ne distinguais pas très bien, et qui m’a dit bonjour d’un ton goguenard. Je devais avoir un drôle d’air avec mes yeux encore gonflés de sommeil, et ma soutane trempée.

Je dois lutter sans cesse contre la tentation de courir jusqu’à Torcy. Hâte imbécile du joueur qui sait très bien qu’il a perdu, mais ne se lasse pas de l’entendre dire. Dans l’état