Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

restait inutile et dangereux de céder, le cas échéant, à votre générosité, à votre charité, de paraître ainsi provoquer des confidences qui… » « M. le comte ne le supporterait pas, » a-t-elle ajouté, sur un ton qui m’a déplu.

Certes, rien ne m’autorise à la soupçonner de parti pris, d’injustice, et quand je l’ai saluée le plus froidement que j’ai pu, sans lui tendre la main, elle avait des larmes dans les yeux, de vraies larmes. D’ailleurs, les manières de Mlle Chantal ne me plaisent guère, elle a dans ses traits la même fixité, la même dureté que je retrouve, hélas, sur le visage de beaucoup de jeunes paysannes et dont le secret ne m’est pas encore connu, ne le sera sans doute jamais, car elles n’en laissent deviner que peu de chose, même au lit de mort. Les jeunes gens sont bien différents ! Je ne crois pas trop aux confessions sacrilèges en un tel moment, car les mourantes dont je parle manifestaient une contrition sincère de leurs fautes. Mais leurs pauvres chers visages ne retrouvaient qu’au delà du sombre passage la sérénité de l’enfance (pourtant si proche !), ce je ne sais quoi de confiant, d’émerveillé, un sourire pur… Le démon de la luxure est un démon muet.

N’importe ! je ne puis m’empêcher de trouver la démarche de Mademoiselle un peu suspecte. Il est clair que je manque beaucoup trop d’expérience, d’autorité pour m’entremettre dans une affaire de famille si délicate, et on aurait sagement fait de me tenir à l’écart. Mais puisqu’on juge utile de