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soit rouge ou bleu par la raison que ces couleurs existent en lui et nulle part ailleurs, ainsi que tout le monde le reconnaît. Quant à ce que les philosophes disent du sujet et du mode, cela semble sans fondement et inintelligible. Par exemple, dans cette proposition : Un dé est dur, étendu et cubique, ils entendront que le mot désigne un sujet, ou substance, distinct de la dureté, de l’étendue, et de la figure qui en sont des prédicats et qui existent en lui. Mais je ne puis comprendre cela : pour moi, un dé semble n’être nullement distinct de ces choses qu’on nomme ses modes ou accidents. Dire qu’un dé est dur, étendu et cubique, ce n’est point attribuer ces qualités à un sujet qui en est distinct et qui les supporte ; c’est seulement une explication de la signification du mot .

50. Sixièmement, on dira que beaucoup de choses ont été expliquées par la matière et le mouvement, et que nier ceux-ci, c’est renoncer à toute la philosophie corpusculaire et saper les fondements de ces principes mécaniques qui ont été employés avec tant de succès à l’explication des phénomènes. Bref, tout ce qui a été obtenu de progrès dans l’étude de la nature, grâce aux philosophes anciens ou modernes, procède de la supposition de l’existence réelle de la substance corporelle, ou Matière. À cela je réponds qu’il n’y a pas un seul phénomène expliqué dans cette supposition qui ne puisse l’être aussi bien sans elle, ainsi qu’on le ferait aisément voir par une induction des cas particuliers. Expliquer les phénomènes, ou montrer pourquoi dans telles ou telles occasions nous sommes affectés de telles et telles idées, c’est tout un. Mais comment la Matière opérerait-elle sur un esprit (on a spirit), ou produirait-elle en lui une certaine idée ? C’est ce qu’aucun philosophe n’a la prétention d’expliquer ; il est donc évident qu’il n’y a pas d’usage à faire de la Matière en philosophie naturelle. En outre, ceux qui s’occupent de ces questions ne tirent pas leurs explications de la substance corporelle, mais bien de la figure, du mouvement et autres qualités, qui ne sont au vrai que de pures idées et ne peuvent par conséquent être causes d’aucune chose, ainsi qu’on l’a montré (§ 25).

51. Septièmement, on demande, d’après cela, s’il ne paraît pas absurde de supprimer les causes naturelles et d’attribuer