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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

aussi bien, pour prouver que la figure et l’étendue ne sont pas des types ou ressemblances de qualités existant dans la Matière, de ce que le même œil, pour des stations différentes, ou des yeux de différentes structures, pour une même station, les voient varier, de sorte qu’elles ne peuvent être les images de quelque chose de fixe et de déterminé hors de l’esprit ? Ou encore : il est prouvé que le doux n’est pas dans le corps sapide, attendu que, sans aucun changement dans ce corps, le doux devient amer, comme dans un cas de fièvre ou d’altération quelconque de l’organe du goût : n’est-il pas tout aussi raisonnable de dire que le mouvement n’est pas hors de l’esprit, puisque, si la succession des idées dans l’esprit devient plus rapide, il est reconnu que le mouvement paraît plus lent, sans qu’il y ait aucune modification survenue en un objet externe ?

15. Bref, qu’on examine les arguments qu’on croit manifestement bons pour prouver que les couleurs et les saveurs existent seulement dans l’esprit, on trouvera qu’on peut les faire valoir avec la même force pour l’étendue, la figure et le mouvement. Sans doute on doit convenir que cette manière d’argumenter ne démontre pas tant ceci : qu’il n’y a point étendue ou couleur dans un objet externe, qu’elle ne démontre que nos sens ne nous apprennent point quelles sont la vraie étendue ou la vraie couleur de l’objet. Mais les arguments qui ont été présentés auparavant montrent pleinement l’impossibilité qu’une étendue, une couleur, ou toute autre qualité sensible existent dans un sujet non pensant, hors de l’esprit ; ou, à vrai dire, l’impossibilité qu’il y ait telle chose qu’un objet externe.

16. Mais examinons un peu l’opinion reçue. On dit que l’étendue est un mode ou accident de la Matière, et que la Matière est le substratum qui la supporte. Mais je voudrais qu’on m’expliquât ce qu’on entend par ce support de l’étendue par la Matière. Je n’ai pas, me direz-vous, l’idée de la Matière, et par conséquent je ne puis l’expliquer. Je réponds qu’encore que vous n’en ayez pas une idée positive, si vous attachez un sens quelconque à ce que vous dites, vous devez au moins en avoir une idée relative ; si vous ignorez ce qu’elle est, il faut supposer que vous savez quelle relation elle soutient avec ses accidents, et ce que vous entendez quand vous