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idées abstraites. Par exemple, la vue perçoit un objet étendu et coloré qui se meut. Cette idée mixte ou composée, l’esprit la résout en ses parties constituantes et simples, et, envisageant chacune en elle-même à l’exclusion du reste, il doit former les idées abstraites d’étendue, couleur et mouvement. Non qu’il se puisse que la couleur ou le mouvement existent sans l’étendue ; mais c’est que l’esprit peut se former par abstraction l’idée de couleur, exclusivement à l’étendue, et de mouvement, exclusivement tout à la fois à la couleur et à l’étendue.

8. De plus, l’esprit ayant reconnu que les étendues particulières perçues par les sens nous offrent quelque chose de commun et de pareil en toutes, et puis certaines autres choses spéciales, comme telle ou telle figure ou grandeur, qui les distinguent entre elles, il considère à part, il prend isolément et en soi-même ce qu’il y a de commun, et il en fait, parmi toutes les idées de l’étendue, l’idée la plus abstraite, qui n’est ni ligne, ni surface, ni solide, n’a aucune figure, ni aucune grandeur, mais est une idée entièrement détachée de toutes celles-là. Par le même procédé, l’esprit, laissant de côté dans toutes les couleurs particulières perçues par les sens ce qui les distingue les unes des autres, et retenant seulement ce qui leur est commun à toutes, fait une idée de la couleur en abstrait, laquelle n’est ni rouge, ni bleue, ni blanche, ni d’aucune autre couleur déterminée. De même encore, en considérant le mouvement séparément non seulement du corps qui est mû, mais aussi de la figure qu’il décrit dans son mouvement, et de toute direction ou vitesse particulières, on forme l’idée abstraite de mouvement ; et cette idée correspond également à tous les mouvements particuliers que les sens peuvent percevoir.

9. Et de même que l’esprit se forme des idées abstraites des qualités ou modes, ainsi, et à l’aide du même procédé de séparation mentale, il obtient des idées abstraites des êtres les plus composés qui renferment diverses qualités coexistantes. Par exemple, observant que Pierre, Jacques et Jean se ressemblent par de certaines propriétés de forme ou autres qualités, qui leur sont communes, l’esprit laisse de côté, dans l’idée composée ou complexe de Pierre, ou de Jacques, ou de tout autre homme particulier, ce qui est spécial à chacun,