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BERKELEY

153. Quant à ce qu’il entre de peine ou de douleurs dans le monde par suite des lois générales de la nature, et aussi des actions des esprits finis et imparfaits, notre bien-être même en fait une indispensable nécessité dans l’état présent des choses. Mais nos vues sont trop étroites. Nous appliquons notre pensée, par exemple, à quelque douleur particulière, et nous appelons cette douleur un mal ; tandis que si nous agrandissons la sphère où se portent nos regards, de manière à embrasser les fins diverses, les connexions et les dépendances des choses ; si nous considérons en quelles occasions, dans quelles proportions nous sommes affectés de peine ou de plaisir, et la nature de la liberté humaine, et enfin dans quel dessein nous sommes placés en ce monde, nous serons forcés de reconnaître que ces mêmes choses particulières qui, prises en soi, paraissent être un mal, sont de la nature du bien quand on les envisage comme liées avec le système entier des choses.

154. Il sera manifeste pour toute personne qui voudra réfléchir à ce qu’on vient de dire, que, s’il se trouve encore des partisans de l’athéisme ou de l’hérésie manichéenne, c’est un pur effet de manque d’attention et de portée d’esprit. Des âmes petites et irréfléchies peuvent se faire une risée des œuvres de la Providence, dont elles sont incapables, soit légèreté, soit paresse de leur part, de comprendre l’ordre et la beauté ; mais les vrais maîtres en fait de justesse et d’étendue de la pensée, ceux qui ont l’habitude de la réflexion, ne peuvent jamais admirer assez les marques divines de Sagesse et de Bonté qui brillent partout dans l’Économie de la Nature. Mais quelle est la vérité dont l’éclat soit assez grand pour qu’on ne puisse, en haine de la pensée, ou en fermant volontairement les yeux, se mettre en état de ne la pas voir, au moins d’une vue pleine et directe ? Faut-il s’étonner alors de ce que la plupart des hommes, occupés comme ils le sont toujours de leurs affaires ou de leurs plaisirs, et peu accoutumés à fixer, ou même à ouvrir les yeux de l’esprit, ne possèdent pas de l’existence de Dieu et de ses preuves visibles toute la forte conviction qu’on pourrait attendre de créatures raisonnables ?

155. Nous devrions nous étonner de ce que les hommes sont assez stupides pour négliger une vérité évidente et de si