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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

pourtant sous d’autres rapports ; et il n’est pas nécessaire qu’une idée ou image ressemble à l’original sous tous les rapports.

138. Je réponds : si l’idée ne peut représenter l’esprit quant aux choses qui viennent d’être mentionnées, il est imposable qu’elle le représente en aucune autre chose. Ôtez la puissance de vouloir, de penser et de percevoir des idées, il ne reste plus rien en quoi l’idée puisse être semblable à l’esprit. Et, en effet, par ce mot esprit, nous entendons seulement ce qui pense, veut et perçoit : c’est cela, cela seul, qui institue la signification du terme. Si donc il n’est pas possible que ces puissances se trouvent à aucun degré représentées dans une idée [ou une notion], il ne peut évidemment y avoir d’idée [ou de notion] d’un esprit.

139. On objectera que s’il n’y a point d’idée dont les mots âme, esprit, substance soient les signes, ces mots sont insignifiants et ne portent en eux aucun sens. Je réponds qu’ils marquent et signifient une chose réelle, qui n’est ni idée ni semblable à une idée, mais bien ce qui perçoit les idées, et veut et raisonne à leur sujet. Ce que je suis moi-même, ce que je désigne par ce mot : moi, c’est cela même qui est signifié par âme ou substance spirituelle. [Rien ne serait évidemment plus absurde que de dire ou que je ne suis rien, ou que je suis une idée, ou une notion.] Si l’on prétend que ceci n’est qu’une dispute de mots, et que les significations immédiates des autres noms, recevant d’un commun accord cette appellation : idées, il n’y a nulle raison pour ne pas l’appliquer aussi à ce qui est signifié par le nom d’esprit ou âme, je réponds : tous les objets non pensants de l’esprit ont ceci de commun qu’ils sont entièrement passifs ; leur existence consiste uniquement à être perçus ; l’âme ou esprit, au contraire, est un être actif dont l’existence consiste, non à être perçu, mais à percevoir les idées et à penser. Il est donc nécessaire, afin de prévenir les équivoques, et d’éviter de confondre des natures parfaitement incompatibles et dissemblables, que nous distinguions entre l’esprit et l’idée. (Voyez le § 27.)

140. À la vérité, on peut dire, en prenant le mot en un sens large, que nous avons une idée de l’esprit[1], entendant par là

  1. Une idée de l’esprit : la 2e édit. dit : une idée (ou plutôt une notion)