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dans le temps qui s’écoule, il est toujours situé au point précis où mon passé vient expirer dans une action. Et, par conséquent, ces images particulières que j’appelle des mécanismes céré­braux terminent à tout moment la série de mes représentations passées, étant le dernier prolongement que ces représentations envoient dans le présent, leur point d’attache avec le réel, c’est-à-dire avec l’action. Coupez cette attache, l’image passée n’est peut-être pas détruite, mais vous lui enlevez tout moyen d’agir sur le réel, et par conséquent, comme nous le montrerons, de se réaliser. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, qu’une lésion du cerveau pourra abolir quelque chose de la mémoire. De là notre troisième et dernière proposition :

III. On passe, par degrés insensibles, des souvenirs disposés le long du temps aux mouvements qui en dessinent l’action naissante ou possible dans l’espace. Les lésions du cerveau peuvent atteindre ces mouvements, mais non pas ces souvenirs.

Reste à savoir si l’expérience vérifie ces trois propositions.

I. Les deux formes de la mémoire. — J’étudie une leçon, et pour l’apprendre par cœur je la lis d’abord en scandant chaque vers ; je la répète ensuite un certain nombre de fois. A chaque lecture nouvelle un progrès s’accomplit ; les mots se lient de mieux en mieux ; ils finissent par s’organiser ensemble. A ce moment précis je sais ma leçon par cœur ; on dit qu’elle est devenue souvenir, qu’elle s’est imprimée dans ma mémoire.

Je cherche maintenant comment la leçon a été apprise, et je me représente les phases par lesquelles j’ai passé tour à tour. Chacune des lectures succes­sives me revient alors à l’esprit avec son individualité propre ; je la revois avec les circonstances