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d’ériger l’esprit en réalité indépendante s’imposerait. Mais par là même s’éclaircirait peut-être en partie la nature de ce qu’on appelle l’esprit, et la possibilité pour l’esprit et la matière d’agir l’un sur l’autre. Car une démonstration de ce genre ne peut pas être purement négative. Ayant fait voir ce que la mémoire n’est pas, nous serons tenus de chercher ce qu’elle est. Ayant attribué au corps l’unique fonc­tion de préparer des actions, force nous sera bien de rechercher pourquoi la mémoire paraît solidaire de ce corps, comment des lésions corporelles l’influencent, et dans quel sens elle se modèle sur l’état de la substance cérébrale. Il est d’ailleurs impossible que cette recherche n’aboutisse pas à nous renseigner sur le mécanisme psychologique de la mémoire, comme aussi des diverses opérations de l’esprit qui s’y rattachent. Et inversement, si les problèmes de psychologie pure semblent recevoir de notre hypothèse quelque lumière, l’hypothèse y gagnera elle-même en certitude et en solidité.

Mais nous devons présenter cette même idée sous une troisième forme encore, pour bien établir comment le problème de la mémoire est à nos yeux un problème privilégié. Ce qui ressort de notre analyse de la perception pure, ce sont deux conclusions en quelque sorte divergentes, dont l’une dépasse la psychologie dans la direction de la psycho-physiologie, l’autre dans celle de la métaphysique, et dont ni l’une ni l’autre ne comportait par conséquent une vérification immédiate. La première concernait le rôle du cerveau dans la perception — le cerveau serait un instrument d’action, et non de représentation. Nous ne pouvions demander la confirmation directe de cette thèse aux faits, puisque la perception pure porte par définition sur des objets présents, action­nant nos organes