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que dans l’une ces états constituent la réalité, tandis que dans l’autre ils vont la rejoindre.

Mais cette illusion en recouvre encore une autre, qui s’étend à la théorie de la connaissance en général. Ce qui constitue le monde matériel, avons-nous dit, ce sont des objets, ou, si l’on aime mieux, des images, dont toutes les parties agissent et réagissent par des mouvements les unes sur les autres. Et ce qui constitue notre perception pure, c’est, au sein même de ces images, notre action naissante qui se dessine. L’actualité de notre perception consiste donc dans son activité, dans les mouvements qui la prolongent, et non dans sa plus grande intensité : le passé n’est qu’idée, le présent est idéo-moteur. Mais c’est là ce qu’on s’obstine à ne pas voir, parce qu’on tient la perception pour une espèce de contemplation, parce qu’on lui attribue toujours une fin purement spéculative, parce qu’on veut qu’elle vise à je ne sais quelle connaissance désintéressée : comme si, en l’isolant de l’action, en coupant ainsi ses attaches avec le réel, on ne la rendait pas à la fois inexplicable et inutile ! Mais dès lors toute différence est abolie entre la perception et le souvenir, puisque le passé est par essence ce qui n’agit plus, et qu’en méconnaissant ce caractère du passé on devient incapable de le distinguer réellement du présent, c’est-à-dire de l’agissant. Il ne pourra donc subsister entre la perception et la mémoire qu’une simple différence de degré, et pas plus dans l’une que dans l’autre le sujet ne sortira de lui-même. Rétablissons au contraire le caractère véritable de la perception ; montrons, dans la perception pure, un système d’actions naissan­tes qui plonge dans le réel par ses racines profondes : cette perception se distinguera radicalement du sou. venir ; la réalité des choses