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l’autre utilisés. La matière vivante, sous sa forme la plus simple et à l’état homogène, accomplit déjà cette fonction, en même temps qu’elle se nourrit ou se répare. Le progrès de cette matière consiste à répartir ce double travail entre deux catégories d’organes, dont les premiers, appelés organes de nutrition, sont destinés à entretenir les seconds : ces derniers sont faits pour agir ; ils ont pour type simple une chaîne d’éléments nerveux, tendue entre deux extrémités dont l’une recueille des impressions extérieures et dont l’autre accomplit des mouvements. Ainsi, pour revenir à l’exemple de la perception visuelle, le rôle des cônes et des bâtonnets sera simplement de recevoir des ébranlements qui s’élaboreront ensuite en mouve­ments accomplis ou naissants. Aucune perception ne peut résulter de là, et nulle part, dans le système nerveux, il n’y a de centres conscients ; mais la perception naît de la même cause qui a suscité la chaîne d’éléments nerveux avec les organes qui la soutiennent et avec la vie en général : elle exprime et mesure la puissance d’agir de l’être vivant, l’indétermination du mouvement ou de l’action qui suivra l’ébranlement recueilli. Cette indétermination, comme nous l’avons montré, se traduira par une réflexion sur elles-mêmes, ou mieux par une division des images qui entourent notre corps ; et comme la chaîne d’éléments nerveux qui reçoit, arrête et transmet des mouvements est juste­ment le siège et donne la mesure de cette indétermination, notre perception suivra tout le détail et paraîtra exprimer toutes les variations de ces éléments nerveux eux-mêmes. Notre perception, à l’état pur, ferait donc véritablement partie des choses. Et la sensation proprement dite, bien loin de jaillir sponta­nément des profondeurs de la conscience pour s’étendre, en s’affaiblissant,