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la matière à laquelle nous aboutissons est indispen­sable pour nous faire comprendre le merveilleux accord des sensations entre elles, nous ne connaissons rien d’elle puisque nous devons lui dénier toutes les qualités aperçues, toutes les sensations dont elle a simplement à expliquer la correspondance. Elle n’est donc, elle ne peut être rien de ce que nous connais­sons, rien de ce que nous imaginons. Elle demeure à l’état d’entité mystérieuse.

Mais notre propre nature, le rôle et la destination de notre personne, demeurent enveloppés d’un aussi grand mystère. Car d’où sortent, comment naissent, et à quoi doivent servir ces sensations élémentaires, inextensives, qui vont se développer dans l’espace ? Il faut les poser comme autant d’absolus, dont on ne voit ni l’origine ni la fin. Et à supposer qu’il faille distinguer, en chacun de nous, l’esprit et le corps, on ne peut rien connaître ni du corps, ni de l’esprit, ni du rapport qu’ils soutiennent entre eux.

Maintenant, en quoi consiste notre hypothèse et sur quel point précis se sépare-t-elle de l’autre ? Au lieu de partir de l’affection, dont on ne peut rien dire puisqu’il n’y a aucune raison pour qu’elle soit ce qu’elle est plutôt que tout autre chose, nous partons de l’action, c’est-à-dire de la faculté que nous avons d’opérer des changements dans les choses, faculté attestée par la conscience et vers laquelle paraissent converger toutes les puissances du corps organisé. Nous nous plaçons donc d’emblée dans l’ensemble des images étendues, et dans cet univers matériel nous apercevons précisément des centres d’indéter­mination, caractéristiques de la vie. Pour que des actions rayonnent de ces centres, il faut que les mouvements ou influences des autres images soient d’une part recueillis, de