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pour elle des faits mal interprétés, qu’il convient dès maintenant d’examiner.

D’abord, il semble que la localisation d’une sensation affective en un endroit du corps exige une véritable éducation. Un certain temps s’écoule avant que l’enfant arrive à toucher du doigt le point précis de la peau où il a été piqué. Le fait est incontestable, mais tout ce qu’on en peut conclure, c’est qu’un tâtonnement est nécessaire pour coordonner les impressions doulou­reuses de la peau, qui a reçu la piqûre, à celles du sens musculaire, qui dirige les mouvements du bras et de la main. Nos affections internes, comme nos perceptions externes, se répartissent en genres différents. Ces genres, comme ceux de la perception, sont discontinus, séparés par des intervalles que comble l’éducation. Il ne suit nullement de là qu’il n’y ait pas, pour chaque genre d’affection, une localisation immédiate d’un certain genre, une couleur locale qui lui soit propre. Allons plus loin : si l’affection n’a pas cette couleur locale tout de suite, elle ne l’aura jamais. Car tout ce que l’éducation pourra faire sera d’associer à la sensation affective présente l’idée d’une certaine perception possible de la vue et du toucher, de sorte qu’une affection déterminée évoque l’image d’une perception visuelle ou tactile, déterminée également. Il faut donc bien qu’il y ait, dans cette affection même, quelque chose qui la distingue des autres affections du même genre et permette de la rattacher à telle donnée possible de la vue ou du toucher plutôt qu’à toute autre. Mais cela ne revient-il pas à dire que l’affection possède, dès le début, une certaine détermination extensive ?

On allègue encore les localisations erronées, l’illusion des amputés (qu’il y aurait lieu, d’ailleurs, de soumettre à un