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notre théorie de la perception pure. Nous avons raisonné comme si notre perception était une partie des images détachée telle quelle de leur substance, comme si, exprimant l’action virtuelle de l’objet sur notre corps ou de notre corps sur l’objet, elle se bornait à isoler de l’objet total l’aspect qui nous en intéresse. Mais il faut tenir compte de ce que notre corps n’est pas un point mathéma­tique dans l’espace, de ce que ses actions virtuelles se compliquent et s’imprè­gnent d’actions réelles, ou, en d’autres termes, de ce qu’il n’y a pas de perception sans affection. L’affection est donc ce que nous mêlons de l’intérieur de notre corps à l’image des corps extérieurs ; elle est ce qu’il faut extraire d’abord de la perception pour retrouver la pureté de l’image. Mais le psychologue qui ferme les yeux sur la différence de nature, sur la différence de fonction entre la perception et la sensation, — celle-ci enveloppant une action réelle et celle-là une action simplement possible, — ne peut plus trouver entre elles qu’une différence de degré. Profitant de ce que la sensation (à cause de l’effort confus qu’elle enveloppe) n’est que vaguement localisée, il la déclare tout de suite inextensive, et il fait dès lors de la sensation en général l’élément simple avec lequel nous obtenons par voie de composition les images extérieures. La vérité est que l’affection n’est pas la matière première dont la perception est faite ; elle est bien plutôt l’impureté qui s’y mêle. Nous saisissons ici, à son origine, l’erreur qui conduit le psychologue à considérer tour à tour la sensation comme inextensive et la perception comme un agrégat de sensations. Cette erreur se fortifie en route, comme nous verrons, des arguments qu’elle emprunte à une fausse conception du rôle de l’espace et de la nature de l’étendue. Mais elle a en outre