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n’étais d’abord que le spectateur indifférent acquiert tout à coup pour moi un intérêt vital ? Je ne saisis donc, dans cette hypothèse, ni pourquoi, à tel moment déterminé, une diminution d’intensité dans le phénomène lui confère un droit à l’extension et à une apparente indépendance, ni comment un accroissement d’intensité crée, à un moment plutôt qu’à un autre, cette propriété nouvelle, source d’action positive, qu’on nomme douleur.

Revenons maintenant à notre hypothèse, et montrons comment l’affection doit, à un moment déterminé, surgir de l’image. Nous comprendrons aussi comment on passe d’une perception, qui occupe de l’étendue, à une affection qu’on croit inextensive. Mais quelques remarques préliminaires sont indispen­sables sur la signification réelle de la douleur.

Quand un corps étranger touche un des prolongements de l’amibe, ce prolongement se rétracte ; chaque partie de la masse protoplasmique est donc également capable de recevoir l’excitation et de réagir contre elle ; perception et mouvement se confondent ici en une propriété unique qui est la contrac­tilité. Mais à mesure que l’organisme se complique, le travail se divise, les fonctions se différencient, et les éléments anatomiques ainsi constitués aliènent leur indépendance. Dans un organisme tel que le nôtre, les fibres dites sensitives sont exclusivement chargées de transmettre des excitations à une région centrale d’où l’ébranlement se propagera à des éléments moteurs. Il semble donc qu’elles aient renoncé à l’action individuelle pour concourir, en qualité de sentinelles avancées, aux évolutions du corps tout entier. Mais elles n’en demeurent pas moins exposées, isolément, aux mêmes causes de destruc­tion qui menacent l’organisme dans son ensemble : et tandis que