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déterminer dans l’organe une modification de l’équilibre électrique. Or, on peut se demander si l’excitation électrique ne comprendrait pas des composantes diverses, répondant objectivement à des sensations de différents genres, et si le rôle de chaque sens ne serait pas simplement d’extrai­re du tout la composante qui l’intéresse : ce seraient bien alors les mêmes excitations qui donneraient les mêmes sensations, et des excitations diverses qui provoqueraient des sensations différentes. Pour parler avec plus de précision, il est difficile d’admettre que l’électrisation de la langue, par exem­ple, n’occasionne pas des modifications chimiques ; or ce sont ces modifica­tions que nous appelons, dans tous les cas, des saveurs. D’autre part, si le physicien a pu identifier la lumière avec une perturbation électro-magnétique, on peut dire inversement que ce qu’il appelle ici une perturbation électro-magnétique est de la lumière, de sorte que ce serait bien de la lumière que le nerf optique percevrait objectivement dans l’électrisation. Pour aucun sens la doctrine de l’énergie spécifique ne paraissait plus solidement établie que pour l’oreille nulle part aussi l’existence réelle de la chose perçue n’est devenue plus probable. Nous n’insistons pas sur ces faits, parce qu’on en trouvera l’exposé et la discussion approfondie dans un ouvrage récent[1]. Bornons-nous à faire remarquer que les sensations dont on parle ici ne sont pas des images perçues par nous hors de notre corps, mais plutôt des affections localisées dans notre corps même. Or il résulte de la nature et de la destination de notre corps, comme nous allons voir, que chacun de ses éléments dits sensitifs a son action ré

  1. SCHWARZ, Das Wahrnehmungsproblem, Leipzig, 1892, p. 313 et suiv.