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courant électrique donnera une sensa­tion visuelle, que ce même courant électrique, appliqué au nerf acoustique ou au glosso-pharyngien, fera percevoir une saveur ou entendre un son. De ces faits très particuliers on passe à ces deux lois très générales que des causes différentes, agissant sur le même nerf, excitent la même sensation, et que la même cause, agissant sur des nerfs différents, provoque des sensations diffé­rentes. Et de ces lois elles-mêmes on infère que nos sensations sont simple­ment des signaux, que le rôle de chaque sens est de traduire dans sa langue propre des mouvements homogènes et mécaniques s’accomplissant dans l’espace. D’où enfin, l’idée de scinder notre perception en deux parts distinctes, désormais incapables de se rejoindre : d’un côté les mouvements homogènes dans l’espace, de l’autre les sensations inextensives dans la conscience. Il ne nous appartient pas d’entrer dans l’examen des problèmes physiologiques que l’interprétation des deux lois soulève : de quelque manière que l’on comprenne ces lois, soit qu’on attribue l’énergie spécifique aux nerfs, soit qu’on la reporte dans les centres, on se heurte à d’insurmontables difficultés. Mais ce sont les lois elles-mêmes qui paraissent de plus en plus problématiques. Déjà Lotze en avait soupçonné la fausseté. Il attendait, pour y croire, « que des ondes sono­res donnassent à l’œil la sensation de lumière, ou que des vibrations lumi­neuses fissent entendre un son à l’oreille[1] » . La vérité est que tous les faits allégués paraissent se ramener à un seul type : l’excitant unique capable de produire des sensations différentes, les excitants multiples capables d’engen­drer une même sensation, sont ou le courant électrique ou une cause mécanique capable de

  1. LOTZE. Métaphysique,. p. 528 et suiv.