Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

volonté, toujours le même pour une même action, quel que soit le genre d’image qui l’a sollicité à se produire. Mais la vérité est que le caractère de mouvements extérieurement identiques est intérieurement modifié, selon qu’ils donnent la réplique à une impression visuelle, tactile ou auditive. J’aperçois une multitude d’objets dans l’espace ; chacun d’eux, en tant que forme visuelle, sollicite mon activité. Je perds brusquement la vue. Sans doute je dispose encore de la même quantité et de la même qualité de mouvements dans l’espace ; mais ces mouvements ne peu­vent plus être coordonnés à des impressions visuelles ; ils devront désor­mais suivre des impressions tactiles, par exemple, et il se dessinera sans doute dans le cerveau un nouvel arrangement ; les expansions protoplasmiques des éléments nerveux moteurs, dans l’écorce, seront en rapport avec un nombre beaucoup moins grand, cette fois, de ces éléments nerveux qu’on appelle sensoriels. Mon activité est donc bien réellement diminuée, en ce sens que si je peux produire les mêmes mouvements, les objets m’en fournissent moins l’occasion. Et par suite, l’interruption brusque de la conduction optique a eu pour effet essentiel, profond, de supprimer toute une partie des sollicitations de mon activité : or cette sollicitation, comme nous l’avons vu, est la percep­tion même. Nous touchons ici du doigt l’erreur de ceux qui font naître la perception de l’ébranlement sensoriel proprement dit, et non d’une espèce de question posée à, notre activité motrice. Ils détachent cette activité motrice du processus perceptif, et comme elle paraît survivre à l’abolition de la percep­tion, ils en concluent que la perception est localisée dans les éléments nerveux dits sensoriels. Mais la vérité est qu’elle n’est pas plus dans les centres sensoriels que