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entre les objets qui ébranlent mon corps et ceux que je pourrais influencer, joue le rôle d’un simple conducteur, qui transmet, répartit ou inhibe du mouvement. Ce conducteur se compose d’une multitude énorme de fils tendus de la périphérie au centre et du centre à la périphérie. Autant il y a de fils allant de la périphérie vers le centre, autant il y a de points de l’espace capables de solliciter ma volonté et de poser, pour ainsi dire, une question élémentaire à mon activité motrice : chaque question posée est justement ce qu’on appelle une perception. Aussi la perception est-elle diminuée d’un de ses éléments chaque fois qu’un des fils dits sensitifs est coupé, parce qu’alors quelque partie de l’objet extérieur devient impuissante à solliciter l’activité, et aussi chaque fois qu’une habitude stable a été contractée, parce que cette fois la réplique toute prête rend la question inutile. Ce qui disparaît dans un cas comme dans l’autre, c’est la réflexion apparente de l’ébranlement sur lui même, le retour de la lumière à l’image d’où elle part, ou plutôt cette dissociation, ce discernement qui fait que la perception se dégage de l’image. On peut donc dire que le détail de la perception se moule exacte­ment sur celui des nerfs dits sensitifs, mais que la perception, dans son ensemble, a sa véritable raison d’être dans la tendance du corps à se mouvoir.

Ce qui fait généralement illusion sur ce point, c’est l’apparente indifférence de nos mouvements à l’excitation qui les occasionne. Il semble que le mouvement de mon corps pour atteindre et modifier un objet reste le même, soit que j’aie été averti de son existence par l’ouïe, soit qu’il m’ait été révélé par la vue ou le toucher. Mon activité motrice devient alors une entité à part, une espèce de réservoir d’où le mouvement sort à