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me, que nous le percevions en lui, et non pas en nous. Si le psychologue dédaigne une idée aussi simple, aussi rapprochée du réel, c’est que le processus intracérébral, cette minime partie de la perception, lui paraît être l’équivalent de la perception entière. Supprimez l’objet perçu en conservant ce processus interne ; il lui semble que l’image de l’objet demeure. Et sa croyance s’explique sans peine : il y a des états nombreux, tels que l’hallucination et le rêve, où surgissent des images qui imitent de tout point la perception extérieure. Comme, en pareil cas, l’objet a disparu tandis que le cerveau subsiste, on conclut de là que le phénomène cérébral suffit à la production de l’image. Mais il ne faut pas oublier que, dans tous les états psychologiques de ce genre, la mémoire joue le premier rôle. Or, nous essaie­rons de montrer plus loin que, la perception une fois admise telle que nous l’entendons, la mémoire doit surgir, et que cette mémoire, pas plus que la perception elle-même, n’a sa condition réelle et complète dans un état céré­bral. Sans aborder encore l’examen de ces deux points, bornons-nous à présen­ter une observation fort simple, qui n’est d’ailleurs pas nouvelle. Beaucoup d’aveugles-nés ont leurs centres visuels intacts : pourtant ils vivent et meurent sans avoir jamais formé une image visuelle. Pareille image ne peut donc apparaître que si l’objet extérieur a joué un rôle au moins une première fois : il doit par conséquent, la première fois au moins, être entré effectivement dans la représentation. Or nous ne demandons pas autre chose pour le moment, car c’est de la perception pure que nous traitons ici, et non de la perception compliquée de mémoire. Rejetez donc l’apport de la mémoire, envisagez la perception à l’état brut, vous êtes bien obligé de reconnaî