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autre, il le traverse généralement en changeant de direction. Mais telles peuvent être les densités respectives des deux milieux que, pour un certain angle d’incidence, il n’y ait plus de réfraction possible. Alors se produit la réflexion totale. Il se forme du point lumineux une image virtuelle, qui symbolise, en quelque sorte, l’impos­sibilité où sont les rayons lumineux de poursuivre leur chemin. La perception est un phénomène du même genre. Ce qui est donné, c’est la totalité des images du monde matériel avec la totalité de leurs éléments intérieurs. Mais si vous supposez des centres d’activité véritable, c’est-à-dire spontanée, les rayons qui y parviennent et qui intéresseraient cette activité, au lieu de les traverser, paraîtront revenir dessiner les contours de l’objet qui les envoie. Il n’y aura rien là de positif, rien qui s’ajoute à l’image, rien de nouveau. Les objets ne feront qu’abandonner quelque chose de leur action réelle pour figurer ainsi leur action virtuelle, c’est-à-dire, au fond, l’influence possible de l’être vivant sur eux. La perception ressemble donc bien à ces phénomènes de réflexion qui viennent d’une réfraction empêchée ; c’est comme un effet de mirage.

Cela revient à dire qu’il y a pour les images une simple différence de degré, et non pas de nature, entre être et être consciemment perçues. La réalité de la matière consiste dans la totalité de ses éléments et de leurs actions de tout genre. Notre représentation de la matière est la mesure de notre action possible sur les corps ; elle résulte de l’élimination de ce qui n’intéresse pas nos besoins et plus généralement nos fonctions. En un sens, on pourrait dire que la perception d’un point matériel inconscient quelconque, dans son instantanéité, est infiniment plus vaste et plus complète que la nôtre, puisque ce