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entre eux ? Et il est aisé de voir que l’idéalisme subjectif consiste à faire dériver le premier système du second, le réalisme matérialiste à tirer le second du premier.

Le réaliste part en effet de l’univers, c’est-à-dire d’un ensemble d’images gouvernées dans leurs rapports mutuels par des lois immuables, où les effets restent proportionnés à leurs causes, et dont le caractère est de n’avoir pas de centre, toutes les images se déroulant sur un même plan qui se prolonge indéfiniment. Mais force lui est bien de constater qu’en outre de ce système il y a des perceptions, c’est-à-dire des systèmes où ces mêmes images sont rapportées à une seule d’entre elles, s’échelonnent autour de celle-ci sur des plans différents, et se transfigurent dans leur ensemble pour des modifications légères de cette image centrale. C’est de cette perception que part l’idéaliste, et dans le système d’images qu’il se donne il y a une image privilégiée, son corps, sur laquelle se règlent les autres images. Mais dès qu’il veut rattacher le présent au passé et prévoir l’avenir, il est bien obligé d’abandonner cette position centrale, de replacer toutes les images sur le même plan, de supposer qu’elles ne varient plus pour lui mais pour elles, et de les traiter comme si elles faisaient partie d’un système où chaque changement donne la mesure exacte de sa cause. À cette condition seulement la science de l’univers devient possi­ble ; et puisque cette science existe, puisqu’elle réussit à prévoir l’avenir, l’hypothèse qui la fonde n’est pas une hypothèse arbitraire. Le premier système est seul donné à l’expérience présente ; mais nous croyons au second par cela seul que nous affirmons la continuité du passé, du présent et de l’avenir. Ainsi, dans l’idéalisme comme dans le réalisme, on pose l’