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la contingence du cours de la nature, si profondément étudiée par une philosophie récente, doit équiva­loir pratiquement pour nous à la nécessité. Conservons donc notre hypothèse, qu’il y aurait pourtant lieu d’atténuer. Même alors, la liberté ne sera pas dans la nature comme un empire dans un empire. Nous disions que cette nature pouvait être considérée comme une conscience neutralisée et par conséquent latente, une conscience dont les manifestations éventuelles se tiendraient réciproquement en échec et s’annuleraient au moment précis où elles veulent paraître. Les premières lueurs qu’y vient jeter une conscience individuelle ne l’éclairent donc pas d’une lumière inattendue : cette conscience n’a fait qu’écar­ter un obstacle, extraire du tout réel une partie virtuelle, choisir et dégager enfin ce qui l’intéressait ; et si, par cette sélection intelligente, elle témoigne bien qu’elle tient de l’esprit sa forme, c’est de la nature qu’elle tire sa matière. En même temps d’ailleurs que nous assistons à l’éclosion de cette conscience, nous voyons se dessiner des corps vivants, capables, sous leur forme la plus simple, de mouvements spontanés et imprévus. Le progrès de la matière vivante consiste dans une différenciation des fonctions qui amène la formation d’abord, puis la complication graduelle d’un système nerveux capable de canaliser des excitations et d’organiser des actions : plus les centres supérieurs se développent, plus nombreuses deviendront les voies motrices entre lesquelles une même excitation proposera à l’action un choix. Une latitude de plus en plus grande laissée au mouvement dans l’espace, voilà bien en effet ce qu’on voit. Ce qu’on ne voit pas, c’est la tension croissante et concomitante de la conscience dans le temps. Non seulement, par sa mémoire des expé