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entre cette matière et cette conscience, entre le corps et l’esprit. Mais cette opposition de la perception et de la matière est l’œuvre artificielle d’un entendement qui décompose et recompose selon ses habitudes ou ses lois : elle n’est pas donnée à l’intuition immédiate. Ce qui est donné, ce ne sont pas des sensations inextensives : comment iraient-elles rejoindre l’espace, y choisir un lieu, s’y coordonner enfin pour construire une expérience universelle ? Ce qui est réel, ce n’est pas davantage une étendue divisée en parties indépendantes : comment d’ailleurs, n’ayant ainsi aucun rapport possi­ble avec notre conscience, déroulerait-elle une série de changements dont l’ordre et les rapports correspondraient exactement à l’ordre et aux rapporte de nos représentations ? Ce qui est donné, ce qui est réel, c’est quelque chose d’intermédiaire entre l’étendue divisée et l’inétendu pur ; c’est ce que nous avons appelé l’extensif. L’extension est la qualité la plus apparente de la perception. C’est en la consolidant et en la subdivisant au moyen d’un espace abstrait, tendu par nous au-dessous d’elle pour les besoins de l’action, que nous constituons l’étendue multiple et indéfiniment divisible. C’est en la subtilisant au contraire, c’est en la faisant tour à tour dissoudre en sensations affectives et évaporer en contrefaçons des idées pures, que nous obtenons ces sensations inextensives avec lesquelles nous cherchons vainement ensuite à reconstituer des images. Et les deux directions opposées dans lesquelles nous poursuivons ce double travail s’ouvrent à nous tout naturellement, car il résulte des néces­sités mêmes de l’action que l’étendue se découpe pour nous en objets abso­lument indépendants (d’où une indication pour subdiviser l’étendue), et qu’on passe par degrés insensibles de l’affection à